L’histoire de la musique guinéenne est jalonnée de figures légendaires, dont certaines restent pourtant méconnues du grand public malgré leur immense talent. Amadou Sadio Bah, plus connu sous le nom de Bah Sadio, fait partie de ces artistes dont le parcours fut aussi fulgurant que tragique. Né en 1940 à Bhoundou Tély, dans la préfecture de Lélouma, il a marqué son époque par son génie musical avant de s’éteindre prématurément en 1976, en France, à seulement 36 ans. Pourtant, son rêve ultime n’a jamais changé : reposer sur la terre de ses ancêtres, en Guinée.
Les débuts d’un prodige
Originaire de Thianguel Bori, Bah Sadio grandit dans un environnement où la musique est omniprésente. Très tôt, il se passionne pour la guitare, mais c’est avec le Hoodu, la guitare traditionnelle peule, qu’il fait ses premiers pas. Son talent précoce se révèle au fil des soirées musicales dans les villages environnants et lors des Kilédji (travaux champêtres collectifs). Son destin prend un tournant décisif lors des fiançailles d’Elhadj Ibrahima Caba Bah, éminent professeur de physique et figure marquante de la Guinée. Ce jour-là, l’invité artistique n’est autre que Sory Kandja Kouyaté, maître incontesté de la guitare mandingue, venu spécialement de Manta, dans la sous-préfecture de Bodjé (préfecture de Dalaba).
Grâce à l’influence d’Elhadj Abdouramane Bah, alors chef d’arrondissement de Thianguel Bori, cette rencontre devient possible. Impressionné par la virtuosité du jeune Bah Sadio, Sory Kandja décide de le prendre sous son aile. Sous sa tutelle, le prodige abandonne le Hoodu pour la guitare moderne et enrichit son jeu de nouvelles sonorités. Il excelle notamment dans l’interprétation des morceaux emblématiques du répertoire Haali Poular, dont Sama et 56.
De Thianguel Bori à la scène internationale
Armé de sa guitare et d’un talent hors normes, Bah Sadio se fait rapidement un nom, d’abord dans la région de Labé, puis à Conakry, au cœur de la révolution culturelle initiée par le président Ahmed Sékou Touré. Son ascension fulgurante l’amène à se produire aux côtés des plus grands musiciens de son époque.
Au Sénégal, il fonde son orchestre Jeere Leele à Dakar, alors en pleine effervescence musicale. Son talent exceptionnel lui vaut d’être sélectionné pour accompagner le président Ahmed Sékou Touré et son mentor Sory Kandja Kouyaté lors d’un voyage officiel en Tanzanie (anciennement Tanganika). Cette prestation prestigieuse le propulse davantage sur la scène internationale. Mais après cette parenthèse dorée, Bah Sadio retourne à Dakar avec l’ambition d’explorer de nouveaux horizons. Poussé par son désir de reconnaissance mondiale, il prend un pari risqué : tenter sa chance en France. Sans visa, muni d’un passeport gambien et d’une modeste somme d’argent, il s’embarque dans une aventure incertaine, porté par l’espoir d’une consécration encore plus grande.
Un exil douloureux et un rêve inachevé
Si Paris lui offre des opportunités artistiques, son exil est aussi synonyme de solitude et de désillusion. Comme beaucoup d’artistes africains de son époque, il se retrouve tiraillé entre succès et nostalgie. C’est là qu’il fait la rencontre de Marie Fayza, une jeune femme d’origine tunisienne. Leur idylle, bien que brève, témoigne d’un moment de répit dans son parcours tourmenté. Mais son amour pour la Guinée demeure intact : il chante inlassablement son pays natal, rêvant du jour où il pourra enfin y retourner.Hélas, le destin en décide autrement. Bah Sadio s’éteint en 1976, à seulement 36 ans, loin de Thianguel Bori et de la terre qui l’a vu naître. Son vœu de reposer en Guinée ne se réalisera pas de son vivant.Un héritage à réhabiliterAujourd’hui, il est du devoir des Guinéens de raviver la mémoire de Bah Sadio, cet enfant prodige dont le talent a transcendé les frontières. Son histoire est celle d’une passion dévorante pour la musique, d’un exil forcé, mais surtout d’un amour indéfectible pour son pays.
Ensemble, œuvrons pour le rapatriement de sa dépouille en Guinée et l’organisation d’un hommage national à la hauteur de son talent. Une cérémonie officielle et une inhumation à Bhoundou Tély Dhadhé Komba, dans la sous-préfecture de Thianguel Bori, préfecture de Lélouma, seraient le plus bel honneur que nous puissions lui rendre.
Honorable Mamadou ThugMembre de la Commission Santé, Affaires Sociales et Culturelles du CNT